La répression au Salvador pousse les membres des gangs vers le Honduras French

La répression au Salvador pousse les membres des gangs vers le Honduras

Un peu moins répressif que son voisin, le Honduras tente également de lutter contre les gangs présents sur son territoire et de contenir une immigration de délinquants fuyant la « main de fer » déployée par le président salvadorien.

Victor Raison, 12 mai 2024 à 11h42

Tegucigalpa, Ocotepeque (Honduras).– Les paysages montagneux s’étirent à perte de vue, une topographie idéale pour la production de café, spécialité de la région. Mais ce sont autant de cols, vallées et gués qui compliquent le travail des policiers chargés de surveiller la frontière entre le Salvador et le Honduras.

Bien qu’elles ne se qualifient pas d’organisations multinationales, l’appartenance au gang (ou mara) MS-13 ou au Barrio 18 crée des liens qui transcendent les frontières. C’est ce qui explique le choix de certains gangsters (ou mareros) salvadoriens de fuir vers le Honduras ou le Guatemala, pour échapper à la politique de la « main de fer » (Mano Dura) de Nayib Bukele, le président salvadorien.

« Si tu es MS et que tu viens dans mon pays, je vais te protéger. Parce que tu es de la famille. Nous sommes une famille et la Mara est mondiale », raconte Gasolina, membre de la MS-13 à San Pedro Sula, au Honduras, le visage caché derrière un masque chirurgical et une casquette enfoncée jusqu’aux sourcils. Ce phénomène est connu sous le nom d’« effet cafard » : lorsque la pression policière ou militaire s’intensifie dans certaines zones, la criminalité se déplace vers des zones moins surveillées.

Pour contrer la criminalité endémique des maras dans le Triangle Nord de l’Amérique centrale, qui réunit Guatemala, Salvador et Honduras, ces deux derniers pays ont déclaré l’état d’exception à quelques mois d’intervalle. Le Salvador a pris cette mesure en mars 2022, par décret du président Nayib Bukele, à la suite des quarante-huit heures les plus sanglantes de l’histoire du pays depuis la guerre civile, marquées par soixante-seize homicides.

Le Honduras lui a emboîté le pas en novembre 2022, sous la présidence de Xiomara Castro, moins d’un an après son investiture, en réponse à de fortes manifestations des transporteurs publics, premières victimes de l’extorsion des maras.

Ces mesures permettent la suspension de certains droits constitutionnels, tels que la liberté de réunion, l’inviolabilité du domicile et l’exigence d’un mandat judiciaire pour les arrestations et perquisitions. Cependant, l’application de l’état d’exception, sans cesse prolongé, jusqu’à aujourd’hui, dans les deux pays, a été différente, tout comme le sont les résultats obtenus.

Incursions illégales

« Nous avons remarqué l’entrée de plusieurs mareros dans le secteur. L’une de leurs réponses à la Mano Dura de Bukele fut d’émigrer », confirme Juan José Orellana, sous-commissaire de la direction de la police chargée de la lutte contre les maras, les gangs et la criminalité organisée (Dipampco) à Tegucigalpa, la capitale du Honduras.

« La loi est plus rigide, elle est plus forte au Salvador. Être marero au Salvador, cela signifie la prison ou la mort », poursuit Gasolina, de la MS-13.

L’application de l’état d’exception au Honduras n’a cependant pas entraîné de vague d’arrestations de gangsters salvadoriens. « Cela fait un mois que je suis en poste ici et je dirais que nous avons remis une douzaine de personnes aux autorités du Salvador », raconte Cristóbal Enrique Archaga, sous-commissaire de la police nationale dans le département d’Ocotepeque, dans le nord du Honduras.

Derrière son bureau, épinglée au mur, s’étale une carte de la région avec tous les points aveugles recensés par la police où des incursions illégales sur le territoire sont suspectées. La zone à surveiller est immense et sa topographie ne joue pas en faveur des autorités, moins nombreuses d’ailleurs au Honduras qu’au Salvador.

Le Salvador comptait en 2021 (dernières données disponibles) 435 policiers pour 100 000 habitants, tandis que le Honduras n’en comptait que 173. Le Honduras est cinq fois plus grand que son voisin, ce qui rend le contrôle du territoire d’autant plus difficile. Les autorités honduriennes ne procèdent pas non plus à des arrestations systématiques comme c’est le cas au Salvador. Un tatouage, même s’il fait référence à une bande criminelle, n’entraîne pas nécessairement une arrestation au Honduras.

« Nous avons identifié certains individus avec des tatouages qui font référence à la Pandilla 18 [Barrio 18 – ndlr] ou à la MS-13, mais nous ne pouvons pas les arrêter s’il n’y a pas de preuve de délinquance. S’ils sont recherchés au Salvador, nous les expulsons et les remettons à la disposition du procureur du Salvador. Mais en général, ce sont des personnes qui viennent se cacher ici. Elles ne viennent pas pour commettre des crimes ici, elles essayent de rester invisibles autant que possible », explique Archaga.

Origines et réalités distinctes

Bien qu’ils portent les mêmes noms dans les trois pays du Triangle Nord, les maras ne forment pas un bloc monolithique, rappelle Juan José Martínez d’Aubuisson, anthropologue et journaliste salvadorien spécialiste des maras : « La Mara Salvatrucha, ou MS-13, est la plus importante. Elle est née dans les banlieues de Los Angeles à la fin des années 1970, en même temps que l’arrivée de milliers de Salvadoriens fuyant la guerre civile. Les Honduriens et les Guatémaltèques ont, pour leur part, migré aux États-Unis pour des raisons économiques, à la recherche de meilleures conditions de vie et de travail. »

C’est au contact des gangs salvadoriens que les Honduriens et les Guatémaltèques ont commencé à rejoindre la MS-13 ou le Barrio 18, mais dans des proportions moindres.

Expulsés des États-Unis, qui offraient une réduction de peine en échange d’un retour volontaire, des milliers de membres de gangs salvadoriens ont été renvoyés vers leur pays d’origine. « Entre 1992 et 1998, ce ne sont pas deux ou trois gangsters, mais bien des milliers de membres qui ont été déportés », explique Martinez d’Aubuisson.

Le développement des maras a été plus tardif et moins fort au Honduras et au Guatemala, en raison d’un nombre moindre de gangsters revenus des États-Unis.

« La Mara Salvatrucha et le Barrio 18 sont des marques », conclut Martinez d’Aubuisson. C’est pourquoi d’autres groupes peuvent émerger n’importe où. Mais être MS 13 ou Barrio 18 au Honduras n’implique pas de relations hiérarchiques avec la MS ou le Barrio 18 au Salvador.

« Chacun a son secteur d’opérations et de contrôle, et s’il y a un besoin de faire appel à un autre secteur d’opération au sein de la même mara au Honduras par exemple, ils le font parfaitement. Mais il ne s’agit pas d’une influence directe, ou d’ordres mais bien de coordination », explique le sous-commissaire Juan José Orellana.

Le récit salvadorien de lutte contre la criminalité

Après plus de deux ans au pouvoir, dont une grande partie sous un état d’exception sans cesse renouvelé, Xiomara Castro, présidente du Honduras, semble suivre l’exemple de son petit voisin, le Salvador, en matière de lutte contre les maras, malgré ses promesses de campagne de démilitarisation du pays.

La popularité de Nayib Bukele, qui s’est autoproclamé « dictateur le plus cool du monde », a créé un exemple à suivre pour le Honduras, témoin de la transformation radicale de son voisin en matière de sécurité publique en seulement quelques mois, passant du statut d’un des pays les plus violents au monde à celui du deuxième plus sûr des Amériques, juste derrière le Canada.

La stratégie salvadorienne de « guerre contre les gangs » a certes réduit le taux d’homicides, mais au prix de violations des droits humains, que la population salvadorienne semble disposée à accepter si l’on en croit l’immense popularité de Nayib Bukele, non seulement au Salvador, mais dans toute la région du Triangle Nord où opèrent les maras.

« Je sais bien qu’il existe des problèmes de droits humains, mais je dois donner la raison à Bukele car c’est le seul moyen de contrôler la violence et la criminalité rampante de nos pays », analyse le père Alex Ramos, qui officie dans la paroisse Nuestra Señora de Guadalupe à San Pedro Sula.

Le Honduras, avec ses multiples acteurs politiques, ne semble pas en mesure d’appliquer un modèle similaire, malgré une volonté flagrante de s’en inspirer le plus possible.

Juan José Martinez d’Aubuisson explique la spécificité du Salvador et de son président : « Bukele a été un phénomène politique dans toute l’Amérique latine et ce que je vois dans le gouvernement hondurien et dans d’autres gouvernements, c’est que Bukele est perçu comme une figure très forte. Ce qu’il a réussi à exporter, c’est le “récit Bukele”, un récit de lutte contre la criminalité. En réalité, le modèle Bukele n’est pas applicable au Honduras car il n’a rien à voir avec la sécurité. Le modèle de Bukele a quelque chose à voir avec l’accumulation de tous les pouvoirs en une seule personne. Un régime d’exception comme celui du Salvador n’est pas possible dans une démocratie. »

La guerre contre les gangs de Bukele s’est en effet accompagnée d’une restriction considérable des libertés individuelles. Plus de 70 000 personnes ont été arrêtées et incarcérées, pour une population totale de 6,3 millions d’habitant·es, ce qui représente plus de 2 % de la population. La Fondation pour les études sur l’application de la loi (Fespad) a signalé la mort de plus d’une centaine de personnes en détention et plus de 5 000 cas d’arrestations arbitraires, dont de nombreux mineurs.

Le gouvernement hondurien est depuis longtemps confronté à une violence similaire mais moindre. Le taux d’homicides au Honduras, bien qu’à un niveau historiquement bas à l’arrivée au pouvoir de la présidente Xiomara Castro en janvier 2022, maintenait toujours le pays parmi les plus violents du monde avec 3 661 meurtres enregistrés en 2022 (contre 7 104 en 2011).

Certain·es citoyen·nes expriment des réserves quant à l’efficacité et aux implications à long terme de cette approche. « Notre gouvernement a décidé de créer un état d’exception hondurien, une version améliorée du Salvador, plus démocratique, sans abus contre les droits de l’homme. Ils parlaient d’un état d’exception avec humanisme », déclare Hugo Ramon Maldonado, le président du Comité pour la défense des droits humains, une ONG du Honduras.

Expansion des groupes criminels

Mais un rapport de décembre 2023 de l’organisation Acled, qui collecte des données sur les lieux et les événements des conflits armés, met en lumière l’impact limité des mesures d’état d’exception. Il révèle que les violences et affrontements armés se sont poursuivis en 2023 au Honduras, principalement dans les prisons surpeuplées et entre gangs. Les gangs ont continué d’extorquer les travailleurs du transport, bien que ce type d’incident ait diminué en 2023. La violence des gangs s’est légèrement accrue et s’étend au-delà des points chauds habituels, indiquant une expansion des groupes criminels vers des zones stratégiques pour le trafic et la production de drogue.

La persistance du contrôle de vastes territoires par les gangs au Honduras engendre un profond sentiment de frustration parmi la population, qui demeure victime des crimes des maras. L’exemple populiste salvadorien ajoute encore à la pression sur le gouvernement hondurien.

« L’extorsion continue », constate le père Alex Ramos, dont les parents résident dans la Colonia Planeta à San Pedro Sula et continuent d*’*être victimes du racket des gangs. « Si l’état d’exception était réellement efficace au Honduras, il n’y aurait plus d’extorsion. Les maras ne continueraient pas d’opérer comme ils le font depuis tout ce temps. »

Boîte noire

Je me suis rendu à la fin du mois de février au Honduras, d’abord à San Pedro Sula afin de rencontrer Gasolina, membre actif de la Mara Salvatrucha. J’ai également eu l’occasion de discuter avec le père Alex Ramos, ainsi qu’avec des fonctionnaires de l’unité spéciale anti-mara, et des victimes d’extorsion et de violences perpétrées par les gangs.

Par la suite, je me suis dirigé vers la frontière avec le Salvador. Mon reportage a pris fin à Tegucigalpa, où j’ai rencontré le responsable de l’unité anti-mara de la capitale hondurienne.

J’ai interviewé Juan Martinez d’Aubuisson, journaliste et anthropologue spécialisé dans les maras, par téléphone.

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